Texte de Michel Arnould
Au cours d’une sortie ornithologique sur l’île de Cézembre, dans le golfe de Saint-Malo, nous avons croisé, sur une de ces pentes ardues que creusèrent les innombrables bombes de la Seconde Guerre Mondiale, une plante que j’aurais honteusement négligée sans l’apostrophe amicale d’un naturaliste avisé qui me la présenta : j’admirais pour la première fois, ébaubi et ému, un pied de Jusquiame noire (Hyoscyamus niger) une bien jolie plante, ma foi, membre de l’éminente famille des Solanaceae, comme la Belladone et la Datura. Il me fut expliqué que cette plante fut introduite sur Cézembre par les moines qui logeaient là au Moyen Âge, introduction liée à ses propriétés hallucinogènes suggéra-t-il.



Je pressentais le blasphème, et voulus en savoir plus.
Il est de notoriété publique que les moines du Moyen Âge, fort érudits, maîtrisaient la pharmacopée et soignaient leur prochain avec les compétences de l’époque, les médecins généralistes étant déjà fort rares…
Quels étaient donc les usages médicinaux de la Jusquiame noire ?
Description : La jusquiame noire (Hyoscyamus niger) est une plante herbacée annuelle ou bisannuelle de la famille des Solanacées. Elle mesure entre 30 et 80 cm de hauteur et se caractérise par une tige dressée, velue et visqueuse, ainsi qu’une odeur nauséabonde due à la présence de tétraméthylputrescine. Ses feuilles sont molles, douces au toucher, et peuvent être pétiolées à la base ou sessiles et embrassantes sur la tige. Les fleurs, de couleur jaune pâle avec des nervures pourpres ou violettes, sont campanulées et sessiles, et la floraison s’étend de mai à septembre. Elle pousse souvent sur des terrains vagues, des décombres ou le long des chemins.
Histoire et utilisation traditionnelle : la Jusquiame noire a été utilisée depuis l’Antiquité pour ses propriétés médicinales. Sa richesse en alcaloïdes tropaniques (hyoscyamine, atropine, et scopolamine) lui conférait, selon la littérature scientifique de l’époque, de puissants effets sur les systèmes nerveux et musculaire; voici ce que les auteurs de l’époque disaient :
- Les alcaloïdes de Hyoscyamus niger ont des propriétés analgésiques en agissant sur les récepteurs du système nerveux central, réduisant la perception de la douleur. Dans l’Antiquité, guérisseurs et médecins utilisaient des préparations de jusquiame pour soulager les douleurs diverses, notamment les maux de dents et les douleurs articulaires.
- Les composés présents dans la jusquiame noire ont des effets sédatifs qui calment les anxieux et les agités et induisent le sommeil. Les anciens Égyptiens, Grecs et Romains utilisaient cette plante pour traiter l’insomnie et les troubles anxieux. Elle était souvent administrée sous forme de tisanes ou de fumigations pour induire la tranquillité et le repos. On parlait, à l’époque d’ataraxie.
- Propriétés antispasmodiques : Les alcaloïdes de Hyoscyamus niger peuvent détendre les muscles lisses et réduire les spasmes musculaires involontaires et, par conséquent soulager les spasmes gastro-intestinaux, les coliques et les crampes, voire les douleurs menstruelles.
- Au Moyen-Âge, la jusquiame noire avait la réputation d’une plante magique et démoniaque, associée à la sorcellerie. Avec la belladone et la mandragore, elle était un ingrédient clé des onguents et potions de « vol » des sorcières, qui provoquaient des hallucinations de lévitation et des visions sataniques. On lui attribuait aussi des vertus aphrodisiaques. Portée sur soi, elle était censée « attirer le beau sexe » et « donner de l’amour ». Jusqu’au XVIIe siècle, elle était utilisée pour donner un effet enivrant à la bière, avant d’être interdite par la loi allemande sur la pureté de la bière.
Quelques exemples de recettes historiques.
- Infusions et décoctions : Préparées en faisant bouillir les feuilles ou les graines de jusquiame dans de l’eau. Ces préparations étaient consommées pour traiter les douleurs internes et induire le sommeil. « Ne faites pas ça vous-même, malheureux !! Hyoscyamus niger est une plante hautement toxique. Une dose excessive peut entraîner un dérèglement du système nerveux parasympathique, provoquant hallucinations, convulsions, tachycardie et arrêt respiratoire; une mort dans d’abominables souffrances », présumé-je.
- Cataplasmes et pommades : Les feuilles écrasées étaient appliquées en cataplasme sur les zones douloureuses ou enflammées pour soulager la douleur locale.
- Inhalations et fumigations: La fumée de jusquiame brûlée était inhalée pour ses effets sédatifs et antispasmodiques. Cette méthode était courante pour traiter les affections respiratoires et les spasmes. « Ne faites pas ça non plus, hein ! »
Conclusion
Hyoscyamus niger a une longue histoire d’utilisation en médecine en raison de ses effets analgésiques, sédatifs et antispasmodiques. Aucun des médecins prestigieux cités dans cet article (Discoride, Pline, ou Ibn Sinna) n’exerce plus. Aussi, en en cas de douleurs, de spasmes divers, ou de troubles anxieux, mon conseil est de ne pas consommer de Jusquiame et de consulter son médecin, si on a la chance d’en avoir un, bien sûr !
Bibliographie
- Dans son ouvrage « De Materia Medica », Dioscoride, un médecin grec du Ier siècle, décrit les propriétés de la Jusquiame noire et son utilisation pour soulager la douleur et induire le sommeil.
- Pline l’Ancien, dans son « Histoire naturelle », mentionne l’utilisation de Hyoscyamus niger pour ses effets sédatifs et ses applications dans le traitement des maux de tête et des insomnies.
- Les médecins arabes médiévaux, comme Ibn Sinna, utilisaient également la jusquiame noire pour ses propriétés analgésiques et sédatives, et elle est mentionnée dans leurs traités de pharmacopée.
Illustrations – CC BY 4.0